Un monument en train de s'écrouler
Par Hubiquist le dimanche 26 octobre 2008, 14:08 - Général - Lien permanent
Ça sent le sapin pour la Camif. Ce grand vendeur par correspondance[1] a en effet annoncé il y a deux jours sa mise en cessation de paiements, et la liquidation semble proche[2].
A l'origine, il s'agissait d'une coopérative de consommation destinée aux enseignants sociétaires de la MAIF, puis elle s'est ouverte à d'autres corps de la fonction publique (hôpital, militaires...), et, plus récemment, à tout le monde (notamment grâce à Internet).
Mais depuis une dizaine d'années, des erreurs de gestion avaient mis la coopérative en grande difficulté ; elle avait même établi un partenariat pas très heureux avec les 3 Suisses. De fermetures de magasins et suppressions de postes, la situation ne s'est pas vraiment améliorée et a abouti à cette annonce du 23 octobre. Je suppose que la crise financière a accéléré la situation : si la Camif a souhaité emprunter pour essayer de se relancer, il y a de grandes chances que cela lui ait été refusé. Ce n'est rien de dire que les banques sont frileuses en ce moment (et qu'elles font payer à la société entière les prises de risques consenties ces 5 dernières années, en étant maintenant extrèmement rigides)... Plus de 500 employés devraient rester sur le carreau ; la VPC française ne se porte pas très bien (La Redoute a annoncé il y a quelques jours la suppression de 650 postes).
La Camif était un VPC un peu particulier. A une période, ils étaient financièrement plus attractifs qu'en grande surface : il était facile de trouver sur le catalogue du matériel à prix inférieur. Mais depuis une dizaine d'années, les prix se sont harmonisés avec les grandes surfaces et autres VPC (par exemple, vous avez essayé de comparer les prix d'un téléviseur entre les grandes surfaces et les VPC ? Il n'y a que quelques euros d'écart. Ne me dites pas que tout ce petit monde ne se met pas d'accord sur les prix... Les seuls à faire la différence sont certains sites Internet, qui cassent les prix). L'autre atout de la Camif était sa qualité de service exceptionnelle et son excellent service après-vente, mais les deux commençaient à décliner, notamment depuis que la société a vendu son âme quitté le statut de coopérative pour devenir une SA, et s'est liée aux 3 Suisses.
Cela ne l'empêchait pas d'avoir un volet social important (équipement de foyers sociaux, aides aux démunis), et depuis 2 ou trois ans, une forte politique en faveur de la consommation durable et équitable laissait annoncer un changement d'orientation intéressant. Mais cela n'a pas effacé les erreurs stratégiques qui ont conduit à cet échec (par exemple le rayon textile en était resté aux fringues portées par de vieux profs à deux doigts de la retraite, et n'a jamais su se moderniser).
Sauf retournement de situation improbable, la Camif devrait donc partiellement (sinon complètement) fermer. La fin de quelque chose pour un enfant d'enseignants comme moi : la Camif est un monument. On a tous eu des enseignants-Camif, des profs (mal) habillés de vieilles fringues ringardes et insipides (d'ailleurs, mon père........... ). Tous ceux qui connaissent un peu le milieu enseignant savent la place qu'occupait la Camif. Cela a même été caricaturé dans la (médiocre) BD "Les Profs". Dans ma famille, quand nous étions gamins, l'arrivée du catalogue saisonnier semestriel était quasiment un évènement, nous nous bataillions pour le parcourir en premier (surtout celui d'hiver, avec les jouets de Noël). C'en était même devenu une private joke familiale, généralement aux dépends de mon père
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C'est un peu excessif de dire que c'est un morceau de la culture enseignante qui s'apprête à disparaitre, mais ce n'est pas totalement faux non plus.
Commentaires
J'ai une analyse un peu différente de la tienne si tu permets.
1. la VPC se porte bien mais pas TOUTE la VPC. Seule la VPC qui a compris et bien intégré l'Internet d'une part et les nouveaux modes de consommation d'autre part : le "vite fait bien fait" (commandé dimanche à 17h, livré mardi matin ou mercredi au plus tard).
2. On ne saura jamais si c'est la crise qui a accéléré le processus de mise en faillite de cette branche de la Camif ou bien si la Camif a profité de la crise pour limiter les échos sociaux en prenant cette décision à ce moment précis afin de la planquer dans le brouillard de la crise...
3. Quand tu écris "par exemple le rayon textile en était resté aux fringues portées par de vieux profs à deux doigts de la retraite" tu commets une lourde erreur en pensant que cela est facteur de faillite, bien au contraire !!!! Car les meilleurs pouvoirs d'achat, les moins touchés par "la crise" et les moins sollicités se trouvent bien là ! Le problème n'est pas de vendre ce type de produit à cette cible, le problème et de le faire correctement, avec les bons outils. Je connais (pour les avoir comme clients) des entreprises de VPC qui se font des couilles en or en vendant des trucs absolument immondes du siècle passé à des vieux pleins de thunes (et aussi à des jeunes en âge mais vieux en mentalité) auxquels personne ne s'intéresse.
La mode tout le monde en fait, partout, et la guerre des prix rend l'exercice plus que périlleux !
Mais il faut ouvrir les yeux sur le monde qui n'est pas composé que de jeunes branchés, visibles et bruyants... Il y a l'immense majorité silencieuse. Celle qui précisément ne fait pas de bruit, ne se fait pas remarquer, et accroche sur ses murs d'horribles baromètres à tête de cerfs, à côté du canevas encadré représentant une scène de chasse en forêt de fontainebleau, lui même placé au-dessus du meuble en bois foncé très travaillé et incrusté de plaques de cuivres embossées le tout recouvert d'un joli napperon 100% coton... (Mes voisins qui ont moins de trente ans sont meublés ainsi !!! Si ! Si ! Je le jure ).
Le problème n'est donc pas dans ce qu'on vend mais dans la façon dont on le vend.
La camif est restée chère et inadaptée à sont temps, comme le sont la Biroute et les trois Cuisses et s'ils ne font rien pour s'adapter, il suivront la Camif dans cet abîme...
Merci pour le complément
; je recomplète :
* Les VPC qui s'en sortent sont effectivement ceux qui ont su prendre le virage Internet et ceux qui cassent les prix. L'analogie avec "l'industrie" de la musique est frappante, au passage : les modèles économique + distribution sont complètement à revoir. Par contre, pendant très longtemps, la Camif est restée très concurrentielle au niveau des prix, avec facilement 20 à 30% de moins que dans les grandes surfaces (c'était à l'époque de la coopérative, avant que le profit des actionnaires ne passe devant le bénéfice de la communauté). Après, les priorités ont été autres...
* Effectivement, j'y ai pensé aussi mais ai tu le sujet, on ne sait pas dans quelle mesure il y a un effet d'aubaine pour profiter de la crise afin de réduire la casse (notamment des Fonds qui possèdent Camif SA). Je ne sais pas quelle est la situation économique exacte de la Redoute, mais la suppression des 650 emplois chez eux fait clairement penser à ça aussi. La situation de la Camif (à un doigt de la liquidation) est quand même plus dégradée.
* Il y a un espace entre les retraités en puissance et les jeunes branchés ; en écologie, on parlerait de "niche écologique". Il y a des intermédiaires d'habillement très classiques qui n'étaient pas représentés. Ceci dit, vue effectivement la concurrence forcenée du secteur, le choix de privilégier la clientèle des 55+ et 60- n'était peut-être pas absurde, mais il n'était pas original : la plupart des VPC disposaient des mêmes types d'articles.
* On reçoit tous des catalogues de trucs improbables, moches ou de mauvais goût ; cela m'a toujours impressionné que ça se vende, mais c'est sûr que ça doit rapporter, vu le nombre de sollicitation qu'on reçoit. Haaa le mauvais goût, autre valeur humaine largement partagé
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Tu as tout à fait raison à propos des "niches". Le plus difficile étant d'abord de les trouver, ensuite de les séduire, enfin de les fidéliser. Trouver, Acquérir, Conserver.
La Camif était sans doute moins chère à l'époque où elle était le domaine réservé des fonctionnaires, clients super fidélisés et captifs. Je pense que ça, la GMF et quelques autres trucs réservé aux fonctionnaires leur apportant des avantages en plus de tous ceux qu'ils avaient déjà et souvent ne voyaient même pas ou n'appréciaient pas à leur juste valeur faisaient partie de ce qui agaçaient profondément (et à juste titre) les non fonctionnaires. Et je le dis d'autant plus facilement que j'étais fonctionnaire et que je profitais de ces innombrables avantages !
Quand la Camif s'est "ouverte" à tout le monde, elle n'était qu'un Vépéciste de plus du même genre que 3S ou la boite de Pinault (pour pas lui faire de pub gratuite !). C'est le problème des "généralistes". Pas facile de gérer ce genre de business quand on n'a pas une clientèle captive et qu'on ne se distingue pas vraiment des autres.
Diantre, je ne sais pas dans quelle administration tu étais, mais je peux t'assurer que chez moi, il n'y a guère de petits avantages, je crois que cette époque est révolue. Il ne nous reste plus grand chose : la sécurité de l'emploi ? Elle est devenue très relative, mon ministère peut me muter n'importe où en France quasiment sans préavis (ce genre de contrainte, dans le privé, est liée à une clause de mobilité dans le contrat de travail, et est souvent assujetti à une indemnité... Je te laisse imaginer le montant de l'indemnité dans le public...).
Dans certains organismes de recherche en voie de dissolution, une partie du personnel s'est aussi vu imposé de trouver une nouvelle affectation sous deux ans n'importe où aussi, ou alors c'était la porte de la Fonction Publique... La sécurité de l'emploi, qui justifiait nos salaires en dessous du privé, est de plus en plus théorique. Chouette, on va être augmenté
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Effectivement, je te l'accorde, les temps ont changé !
Je te parle d'un temps que les moins de ... ooops 30 ans ? Ne peuvent pas connaitre !!
En 1977-78 j'étais fonctionnaire aux PTT, une grande Dame aujourd'hui disparue...
La GMF alors réservée aux seuls fonctionnaires proposait des garanties tous risques aux jeunes conducteurs inexpérimentés pour moitié moins cher que des couvertures au tiers à des conducteurs chevronnés !!!
Sans parler des 3000F de l'époque prêtés sans intérêts, des multiples primes (prime de panier, prime de chaussures et autres prime aussi amusantes que désuettes) et la sécurité de l'emploi qui n'était alors pas un mythe !
Je passe sur les petites voitures ou estafettes jaunes avec lesquelles nous rentrions chez nous parfois à 15h dès nos interventions programmées terminées ! On était assez loin de faire 40h par semaine (la durée légale de cette époque).
Alors évidemment à cette époque la "jalousie" des salariés du privé était quelque-part compréhensible...
Haaaa, la fonction publique de 1977 (excellente année, au demeurant ) n'est plus ce qu'elle était, effectivement. Les entreprises publiques ont toujours été bien loties (les fonctionnaires d'EDF avaient un nombre d'avantages hallucinants), je suppose que ça aussi, cela s'est dégradé. Je suis partagé entre le fait que ces avantages ont forcément été acquis par la lutte sociale, et devraient pouvoir se maintenir, et le fait que l'équité demande de savoir remettre à plat ses propres avantages si cela peut apporter du bon pour la communauté.
Je ne sais pas du tout ce qu'il en est des heures de travail au niveau global dans les administrations. Mais vu la baisse des effectifs et les besoins toujours plus importants, les fonctionnaires ont probablement augmenté leur productivité. Dans ma boutique, je ne connais pas beaucoup de tire-au-flanc. Ho, bien-sûr, il y en a, mais c'est loin d'être représentatif. A titre personnel, depuis que l'on m'a dit que mes heures sup' ne seraient pas récupérables, pas payées et que je faisais de heures sup' uniquement parce que je le voulais bien, je suis passé de 45h/semaine (il y a 1 an) à seulement un peu plus de 40h. Je continue donc à faire du bénévolat pour le plus grand plaisir de mon chef :-) .